Gouvernance des données, contraintes réglementaires, dépendance technologique : en 2025, la question du cloud souverain dépasse le seul débat technique. Face au Cloud Act et à l’extension des exigences européennes (RGPD, NIS2, DORA), les entreprises doivent prouver qu’elles maîtrisent l’hébergement de leurs données sensibles, juridiquement, géographiquement et opérationnellement. Mais comment distinguer cloud souverain et cloud de confiance ? Quels sont les véritables bénéfices pour la sécurité, la conformité et la compétitivité de votre organisation ? Et quelles alternatives concrètes aux GAFAM s’offrent aujourd’hui aux DSI français ? Découvrez notre guide complet pour faire les bons choix en matière d’infrastructure souveraine.
Le sovereign cloud, ou cloud souverain, désigne une solution d’hébergement de données et de services numériques qui garantit une totale indépendance sur les plans juridique, technique et opérationnel. L’ensemble de l’infrastructure est opéré par un acteur national, les données sont hébergées localement et ne peuvent être soumises à des lois extraterritoriales.
Ce concept a émergé en réponse aux préoccupations soulevées par le Cloud Act américain1, qui autorise les autorités des États-Unis à exiger l’accès à des données détenues par des entreprises américaines, même si ces données sont physiquement hébergées en dehors du territoire américain. En Europe, le cloud souverain incarne la volonté de reprendre le contrôle sur les flux numériques stratégiques, en s’affranchissant des ingérences étrangères.
Un cloud souverain repose sur une infrastructure intégralement nationale : les datacenters sont localisés en France, l’opérateur est une entreprise de droit français, et aucune dépendance n’existe envers des technologies ou prestataires soumis au Cloud Act.
Le cloud de confiance, quant à lui, peut utiliser des technologies d’origine américaine (Microsoft Azure, AWS ou Google Cloud, par exemple), mais opère dans un cadre contractuel renforcé, souvent avec une gouvernance séparée localement. Il peut, dans certains cas, obtenir la certification SecNumCloud délivrée par l’ANSSI, à condition de démontrer un haut niveau d’étanchéité juridique et organisationnelle.
Cependant, seule une infrastructure souveraine assure une maîtrise intégrale, sans ambiguïté, de la chaîne de traitement des données. Un cloud souverain est donc de confiance, mais l’inverse n’est pas systématiquement vrai.
La réglementation européenne pousse les entreprises à opter pour des solutions d’hébergement capables de garantir la localisation, la traçabilité et la sécurité des données.
Par exemple, la directive NIS2 étend ses exigences à de nombreux secteurs d’activité, imposant une gouvernance renforcée de la sécurité des systèmes d’information.
Dans le domaine financier, le règlement DORA demande une transparence accrue sur les fournisseurs IT et impose des obligations en matière de résilience opérationnelle.
En parallèle, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) impose que les données personnelles des citoyens européens soient traitées dans un cadre juridique assurant un niveau de protection équivalent à celui garanti dans l’UE. Cette exigence a été réaffirmée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Schrems II (2020)2, qui a invalidé le Privacy Shield3, l’accord transatlantique encadrant les transferts de données vers les États-Unis. La CJUE a en effet estimé que les lois américaines, notamment le Cloud Act, ne garantissaient pas une protection suffisante contre les accès potentiels des autorités.
Depuis cet arrêt, toute entreprise transférant ou hébergeant des données personnelles en dehors de l’UE doit démontrer que des garanties juridiques équivalentes au RGPD sont en place, ce qui exclut de facto de nombreux services cloud américains.
En complément, deux textes européens viennent durcir le cadre réglementaire :
Ces deux règlements insistent sur la transparence et la fiabilité des composants numériques, et encouragent le recours à des fournisseurs maîtrisant l’ensemble de leur chaîne technologique.
Le Cloud Act reste une source d’inquiétude majeure pour les entreprises européennes. En effet, un fournisseur américain peut être contraint par la justice de son pays à fournir l’accès à des données, indépendamment du lieu d’hébergement. Cette situation expose les entreprises à des risques juridiques, à des pertes de contrôle sur leurs informations stratégiques, voire à des cas d’espionnage industriel.
Face à ces risques de confidentialité, l’ANSSI recommande clairement de limiter les dépendances aux acteurs soumis à des législations extraterritoriales6.
Opter pour un cloud souverain, c’est d’abord renforcer la sécurité juridique et technique de ses données les plus sensibles. En choisissant un hébergement hors Cloud Act, l’entreprise réduit considérablement les risques d’accès non autorisé et préserve l’intégrité de ses informations.
Cette approche facilite également l’intégration de dispositifs avancés de sécurité, comme l’authentification multifacteurs, le chiffrement bout en bout, ou la gestion des accès et des comptes à privilèges.
Adopter un cloud souverain permet aussi aux entreprises de mieux répondre aux exigences en matière de conformité et de cybersécurité. En centralisant les données dans un environnement maîtrisé juridiquement et techniquement, les DSI disposent d’un levier concret pour renforcer l’auditabilité de leur système d’information. Cela facilite l’alignement avec des référentiels comme ISO 27001, qui impose une gouvernance rigoureuse de la sécurité de l’information, ou encore le RGPD, qui exige la traçabilité des traitements, la maîtrise des flux transfrontaliers et la capacité à démontrer la conformité à tout moment.
Le cloud souverain constitue également un atout majeur dans le cadre de la directive NIS2, qui impose aux entités critiques une gestion proactive des risques cyber et une supervision renforcée de leurs sous-traitants IT. En optant pour un fournisseur local soumis aux mêmes obligations réglementaires, l’entreprise réduit la complexité de ses démarches de conformité, tout en renforçant la lisibilité de sa chaîne de dépendances numériques.
Ce niveau de transparence est de plus en plus attendu dans les marchés publics, les partenariats industriels ou les projets sensibles. De nombreux appels d’offres exigent désormais des garanties en matière d’hébergement sur le territoire européen, voire national, ainsi qu’une conformité explicite à des référentiels comme SecNumCloud ou HDS.
Vous l’aurez compris, le recours à un cloud souverain permet ainsi de répondre à ces prérequis sans compromis, et de valoriser une politique cybersécurité mature auprès des clients, partenaires et autorités de contrôle.
Le choix d’un sovereign cloud ne se limite pas à une démarche de conformité ou de réduction du risque. Il s’agit aussi d’un marqueur fort de responsabilité numérique, qui renforce l’image de l’entreprise auprès de son écosystème. En garantissant une maîtrise complète de son infrastructure, l'organisation affirme sa capacité à protéger les actifs numériques critiques et à anticiper les exigences réglementaires à venir.
Dans les secteurs les plus sensibles, comme la santé, la défense, la finance ou les collectivités territoriales, cette orientation n’est plus un simple argument différenciant, mais devient un prérequis pour accéder à certains marchés. Les donneurs d’ordre exigent désormais des garanties élevées en matière de souveraineté numérique, de traçabilité et de cybersécurité. Être en mesure de démontrer que son système d’information repose sur une infrastructure souveraine renforce donc la crédibilité de l’entreprise et sa capacité à répondre à des appels d’offres stratégiques.
Côté BtoB, le cloud souverain agit comme un vecteur de confiance commerciale. Il rassure les clients sur le traitement de leurs données, tout en valorisant une démarche cohérente avec les attentes sociétales en matière de souveraineté numérique, d’écoconception et de cybersécurité. Dans un marché où les offres techniques tendent à s’homogénéiser, la souveraineté permet à l’entreprise de se différencier durablement, en affirmant une position claire sur la maîtrise de son SI et l’indépendance de ses choix technologiques.
Certains secteurs ne peuvent plus faire l’économie d’un hébergement souverain, tant les exigences réglementaires en matière de cybersécurité, de résilience et de gouvernance se sont durcies. Les opérateurs d’importance vitale (OIV) sont directement visés par la directive NIS2, qui impose une supervision complète de la chaîne numérique, du traitement des données à l’hébergement. Ils doivent démontrer qu’aucune dépendance stratégique ne repose sur des acteurs non maîtrisés ou soumis à des législations extraterritoriales.
Les opérateurs de services essentiels (OSE) – dans des domaines comme l’énergie, les transports ou les télécommunications – sont soumis aux mêmes obligations. La directive européenne exige d’eux qu’ils identifient, documentent et sécurisent leurs dépendances numériques, y compris dans le cadre de services externalisés dans le cloud.
Dans le secteur financier, le règlement DORA vient renforcer cette pression réglementaire. Les banques, assurances et sociétés de gestion doivent garantir une surveillance stricte de leurs prestataires informatiques. Le texte impose également une transparence accrue sur les conditions d’hébergement, la localisation des données et la réversibilité des services.
Les établissements de santé, qui traitent des données particulièrement sensibles (dossiers médicaux, analyses, identifiants patients…), doivent obligatoirement recourir à des hébergeurs certifiés HDS, de préférence situés en France ou dans l’Union européenne, pour assurer un haut niveau de souveraineté et de confidentialité.
Enfin, les administrations publiques, ministères et collectivités locales sont de plus en plus tenus d’utiliser des infrastructures conformes aux directives de l’État et aux recommandations de l’ANSSI. L’hébergement souverain s’aligne avec les politiques nationales de cybersécurité et devient une condition de base pour certains projets publics.
Même en dehors des secteurs réglementés, le recours à un cloud souverain français constitue une mesure de protection et de bon sens pour toute organisation manipulant des données sensibles.
Les données RH, financières, juridiques ou de propriété intellectuelle nécessitent un haut niveau de confidentialité, de traçabilité et de résilience, que seuls des environnements souverains peuvent pleinement garantir.
Les entreprises industrielles, bureaux d’études, éditeurs de logiciels ou prestataires technologiques exposés à des risques d’espionnage ou à des tentatives d’ingérence extérieure ont tout intérêt à reprendre le contrôle de leur infrastructure. Un hébergement souverain permet en effet de renforcer à la fois la sécurité opérationnelle et la solidité juridique de leurs traitements.
Les PME sous-traitantes de grands groupes, d’administrations ou d’OIV doivent également se mettre en conformité avec les exigences de leurs donneurs d’ordre. Adopter un cloud souverain en amont permet d’anticiper les clauses contractuelles, de sécuriser la chaîne de responsabilité et de préserver leur place dans les écosystèmes sensibles.
Quant aux groupes internationaux disposant d’implantations en Europe, ils peuvent réduire leur exposition juridique en optant pour un hébergement localisé dans l’UE. Cela leur permet d’éviter les transferts de données transatlantiques à risque et de démontrer leur alignement avec le RGPD et les orientations européennes en matière de souveraineté numérique.
Les grands acteurs américains du cloud (AWS, Azure, Google Cloud) dominent encore le marché mondial. Mais des alternatives françaises sécurisées se sont développées ces dernières années, avec des garanties accrues en matière de souveraineté.
Le paysage français du cloud souverain s’est structuré autour de plusieurs acteurs solides, porteurs d’une vision alignée avec les exigences de maîtrise technologique et juridique.
Enfin, d’autres acteurs français tels que Jamespot, Clever Cloud ou Numspot investissent le champ du cloud de confiance, souvent en partenariat avec de grands groupes industriels.
Bien que tous ne soient pas à ce jour certifiés souverains, leurs offres répondent à une demande croissante d’indépendance numérique sur des briques applicatives ou des environnements de collaboration.
Selon leur niveau d’exposition réglementaire, leur sensibilité métier ou leurs contraintes techniques, les entreprises peuvent s’orienter vers différents modèles d’hébergement souverain :
LockSelf propose trois modes de déploiement souverain pour ses solutions de gestion des identifiants (LockPass), stockage de documents (LockFiles) et de transfert de fichiers (LockTransfer),afin de répondre aux exigences des DSI en matière de conformité, de sécurité et de maîtrise opérationnelle.
Les entreprises peuvent opter pour un hébergement dans un cloud public souverain, opéré par des partenaires français certifiés comme Scaleway, garantissant une infrastructure localisée et indépendante du Cloud Act.
Une option cloud privé dédié, en partenariat avec Outscale (filiale de Dassault Systèmes), permet d’accroître l’isolation des environnements et le niveau de contrôle.
Enfin, un déploiement on-premise, directement dans l’infrastructure du client, offre une autonomie totale, dans un cadre maîtrisé et sécurisé.
Ces trois options sont pleinement compatibles avec les exigences du RGPD, de NIS2 et du règlement DORA, permettant aux organisations de choisir un niveau de souveraineté proportionné à leur exposition réglementaire, à la sensibilité de leurs données et à leur capacité opérationnelle.
Avant toute décision, il est indispensable de réaliser un audit complet des services et applications métiers externalisés. Il s’agit d’identifier précisément où sont hébergées les données, quels fournisseurs interviennent, et dans quelles juridictions ces acteurs opèrent.
Des outils comme WHOIS, des requêtes DNS, ou encore les solutions SIEM permettent de remonter les flux et de localiser les zones géographiques d’hébergement.
Cette analyse de risques cyber doit également porter sur les dépendances techniques : connecteurs, APIs, services tiers interconnectés, et tout élément susceptible de créer une exposition involontaire à une législation étrangère.
L’objectif est de dresser une cartographie des points de vulnérabilité juridique, technique et opérationnelle, afin de prioriser les actions à mener.
Sur la base de ce diagnostic, l’entreprise peut engager une sélection rigoureuse de son futur partenaire souverain. Plusieurs critères doivent être examinés : la localisation de l’hébergement, la nature des certifications obtenues, les engagements SLA, ainsi que la capacité du fournisseur à s’intégrer avec les outils existants du système d’information.
Un comparatif détaillé des offres permet d’évaluer les compromis entre sécurité, performance, agilité et coût. Il convient également d’anticiper la dimension contractuelle : clauses de réversibilité, modalités d’auditabilité, niveau de support technique, et garanties en matière de continuité de service doivent être examinés avec attention.
La bascule vers un hébergement souverain requiert une gouvernance projet structurée. Il est recommandé de piloter la migration par étapes, en commençant par un environnement de test, suivi d’une duplication des systèmes, puis d’une bascule progressive des environnements de production. Cette approche limite les risques techniques et garantit une continuité d’activité.
La réussite du projet repose également sur la sensibilisation des équipes aux enjeux de souveraineté, afin d’aligner les usages avec les nouveaux référentiels.
Enfin, les procédures cyber doivent être mises à jour : gestion des incidents, politiques de sauvegarde, plan de reprise d’activité (PRA) et plan continuité (PCA).
En somme, tout ceci converge vers un constat clair : le passage à un cloud souverain ne se limite pas à un simple changement d’infrastructure, il engage toute l’organisation dans une logique de gouvernance numérique responsable !
Sources :
1 : https://www.justice.gov/criminal/cloud-act-resources
2 : https://www.cnil.fr/fr/presentation-de-larret-schrems-ii-de-la-cjue
3 : https://www.cnil.fr/fr/invalidation-du-privacy-shield-les-suites-de-larret-de-la-cjue
4 : https://www.european-cyber-resilience-act.com/
5 : https://cyber.gouv.fr/cybersecurity-act